dissertation sur la science sans conscience

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », que nous dit cette maxime aujourd’hui ?

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Docteur Histoire des sciences et des techniques. Enseignant-chercheur; Laboratoire HT2S-Cnam, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

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Robert Nardone est membre de Les petits débrouillards, association de vulgarisation scientifique.

Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) provides funding as a member of The Conversation FR.

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En ces temps moroses qui voient un objet de 0,125 micron perturber le quotidien de l’humanité tout entière, provocant ici et là désolation, souffrance et mort, les sciences médicales ont été et sont encore convoquées pour leurs savoirs, mais elles sont aussi mises à l’index. Elles le sont afin d’éradiquer le vilain virus tandis que quelques ignorants les accusent de l’avoir fabriqué. Autrement dit des scientifiques auraient ici joué aux apprentis sorciers. Ce qui est mal et de rappeler à l’envie cette fameuse sortie rabelaisienne, extraite de son contexte littéraire et historique : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Recontextualisons-la d’abord dans le roman de Rabelais (1483 ou 1494-1553), puis historiquement.

Cette citation provient d’une longue lettre édifiante que Gargantua adresse à son fils Pantagruel dans « La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence. Livre plein de Pantagruélisme » (1532).

« Mais parce que selon les dire du sage Salomon, Sapience n’entre point en âme malveillante, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te convient servir, aimer et craindre Dieu, et en lui remettre toutes tes pensées et tout ton espoir ; et par une foi charitable, lui être fidèle, en sorte que jamais tu ne t’en écartes par péché. »

Ce qui en d’autres termes pourrait se traduire par : « un mauvais gars ne saurait atteindre la sagesse, et savoir sans comprendre ruine l’entendement ». Au XVI e  siècle « science » s’entend comme « Connaissance exacte qu’on a de quelque chose » ou dans l’extrait « Connaissance de certaines choses qui servent à la conduite de la vie ». « Conscience » se lit ici comme « compréhension » ou savoir qu’on sait. Et « âme » comme l’ensemble des facultés intellectuelles, « l’entendement ». (Littré et Dictionnaire de l’Académie française). Autant dire que cela nous éloigne déjà du sens que la doxa lui donne.

Une discussion entre Gargantua et Pantagruel

Dans cette lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, où il lui conseille de se bourrer de savoir livresque, Rabelais dresse en une violente et « pantagruélique » critique les méthodes d’apprentissage des théologiens sorbonnards. Ces intellectuels, dont l’un d’entre eux Robert de Sorbon fonda le Collège de Sorbonne au XIII e  siècle, étaient chargés de l’étude des questions religieuses et du salut de l’homme en ne s’appuyant que sur les Écritures et la Tradition. À l’époque de Rabelais, ils étaient si puissants que François 1 e , monarque éclairé, fonda en 1530 le Collège royal qui devint le Collège de France pour contrebalancer leur pouvoir. D’où les attaques ironiques et mordantes de Rabelais protégé du roi.

On est alors en pleine Réforme et la Contre-Réforme pointe le bout de son nez. Le bon chrétien Rabelais qui est alors protégé par François 1 e , le cardinal du Bellay et par la sœur du roi, Marguerite de Navarre, ne s’en tient pas seulement à la critique des méthodes d’apprentissage, mais aussi, proche par Marguerite des évangélistes du XVI e  siècle, à une attaque féroce des théologiens-rhéteurs de la Sorbonne qui se veulent les seuls gardiens du temple de la chrétienté.

Si l’on s’en tient à la signification qui lui est donnée aujourd’hui et à ce que ce terme de Science recouvre, elle reste encore incorrecte, parce qu’elle se réfère à la situation imaginaire du savant solitaire enfermé dans sa tour qui jamais ne fut d’ivoire.

Même s’il est aussi médecin, Rabelais est avant tout écrivain et l’un des meilleurs de langue française. Rabelais connait sa rhétorique et ses figures de style comme cette polyptote qui sonne bien puisque l’on y trouve en trois mots différents deux fois « science ». Mais cette science au singulier, parce qu’elle a aujourd’hui un autre sens, est de plus en plus souvent évoquée, invoquée ou convoquée. À « ce monstre monolithique » (Feyerabend) il manque son menu quotidien, aussi bien dans des textes académiques que dans sa médiatisation. Ainsi mise au singulier elle n’est pas la bienvenue dans le domaine de l’historien des sciences qui les préfère incarnées et contextualisées au pluriel et en minuscule.

Doit-on parler de la science ou des sciences ?

Autrement dit, de quoi est fait, non pas « la Science », cet universel, que l’on va jusqu’à fêter, qui ne recouvre sentencieusement qu’une idée, mais le quotidien d’un laboratoire et d’un chercheur scientifique ; modeste menu pourtant savamment étudié par une littérature abondante. Il se satisfait encore moins de cette « culture scientifique », que le coronavirus a soudain mis en lumière, parce qu’elle met les disciplines scientifiques en dehors de la culture elle-même, comme si elles se tenaient en marge du monde politique, économique et social.

Comme disait un ami et collègue, le professeur Ruano-Borbalan, « Epistémologie sans logistique n’est que ruine de la recherche ». Les savoirs scientifiques se forgent sur un temps long, à grande peine et contraintes, au sein de disciplines scientifiques diverses, dans des laboratoires hétérogènes, eux-mêmes dépendants d’établissements publics ou privés, plus ou moins bien administrés et plus ou moins bien financés, sans d’autres rapports entre eux que d’en produire de discutables et de réfutables.

Regrouper au sein d’une même appellation : la mécanique des fluides, la sociologie, la linguistique et la biologie, les essentialise et interdit une salutaire et raisonnable critique de leurs productions respectives. Le singulier et la majuscule font de ces multiples activités, historiquement datées, épistémologiquement délimitées et économiquement cadrées, une sorte de divinité unique en laquelle il conviendrait de croire ou ne pas croire, animée par des prêtres, arrogants et lointains, jaloux de partager leurs savoirs.

Parler de « culture scientifique » au lieu de « composantes scientifiques de la culture » rajoute à cette sanctification et tend à isoler des activités sociales parmi d’autres plutôt que de les rapprocher de l’ensemble des activités humaines. Alors, parlons de sciences, au pluriel et en toute conscience, parce que ces savoirs produits sont discutables, sous peine de ne pas être scientifiques, et qu’ils ne valent guère mieux que ceux du boulanger.

  • littérature
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Science sans conscience n’est que ruine de l’âme (Rabelais)

Francois_Rabelais_-_Portrait

Cette citation de Rabelais, “ Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ” est tirée de Pantagruel , son œuvre majeure.

Rabelais était un sceptique , le fondateur du scepticisme moderne. Il a critiqué ceux qui ne connaissent ni la peur ni les limites humaines. Rabelais est le penseur d’une condition humaine modeste, consciente de sa finitude. Cette philosophie de la finitude est assez proche de celle de Pascal (cf. le roseau pensant ), défendant une nature humaine faible, mais forte en ce qu’elle a conscience de sa faiblesse, contrairement aux forces de la nature physique. Le constat de Rabelais est assez proche : une connaissance (ce qu’il appelle “science”) non réflexive (“sans conscience” autrement dit) ne permet pas à l’homme de se l’approprier, et donc de progresser. Elle est inutile, en somme. Son injonction peut donc être formulée : pour devenir sage, sachez que vous sachez.

Si Bacon a été le philosophe le plus inventif de l’époque de la Renaissance, Rabelais a été le plus imaginatif des écrivains de la Renaissance. Rabelais disait: «L a sagesse ne peut pas entrer dans un esprit méchant, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme .”

Cette pensée peut aussi être considérée comme l’amorce de la bioéthique , cette discipline cherchant à réconcilier les capacités scientifiques et leur acceptabilité morale.

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34 Comments

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Bonjour, il semble qu’il y ait des coquilles dans le deuxième paragraphe où vous citez Montaigne au lieu de Rabelais. En tout cas merci pour votre site très riche pour les amateurs de philosophie comme votre humble serviteur. Bonne journée.

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Je vous remercie d’avoir creer cet application pour servir les élèves du monde entier.

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Merci et Merci encore pour avoir créé cette application pour nous les amateurs de philosophie, vraiment merci.

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Je veux savoir , un peut plus de la philophie et par compte , je me suis tombée sur ce app..

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Merci mille fois de nous avoir laissé cette pensée qui nous aide a prendre conscience de notre etre.

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Jusqu’où faut il faire confiance à cette application ?!! Pourquoi expliquer une citation de Rabelais par Montaigne ??? Revoir svp

C’est trè aimable merci

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J’adore.merci

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C’est vraiment édifiantes citations

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merci pour tous ces choses dans cette application

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je suis wide,je me suis content de connaitre un site comme ça,vachement riche en connaissance.

Grand merci de pouvoir nous aider a comprendre ce que c’est la philosophie

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Très appréciant et très éducative

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Merci pour toutes ces explications. C’est très édifiant

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Vraiment merci !!!cette analyse est très très riche Merci

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Vraiment merci votre site m’aide beaucoup

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Oui et ce n’est toujours pas corrigé à ce jour !

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Merci à vous, article corrigé.

Cordialement, Julien.

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Oui je dis aussi merci pour ce site web (même si les internautes ici parlent tous “d’appli”) que je découvre. Il est intéressant par les sources qu’il donne des expressions passées dans le langage courant. Je ne savais pas qui avait écrit “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme” chère à mon cœur. Et, surprise !, je découvre, avec bonheur grâce aux commentaires associés, que beaucoup d’aspirants à la francophonie aiment notre culture. Cela me fait aimer encore plus cette culture si vaste, moi qui suis un modeste français, certainement inculte d’ailleurs… Donc merci aussi à vous, non français.es, pour votre intérêt en ce qui concerne les philosophes de notre beau pays la France. J’ai senti, à travers vos touchants tâtonnements et approximations de langage de vos courts commentaires, un amour profond pour cette culture très riche et plus universelle qu’on ne l’imagine, ouverte à tous. Alors merci, et vive la langue française pour tous !

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Bonjour, quelques dates gagneraient à être inscrites (naissance; décés; … ) merci bonne continuation CM

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. Je ne savais pas qui avait écrit “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme .Merci mille fois de nous avoir laissé cette pensée qui nous aide a prendre conscience de notre etre.

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Bonjour, Merci pour votre travail. Je suis un peu surpris de lire : ” … pour devenir sage, sachez que vous sachez**.” et ne suis pas sûr de bien comprendre. Voulez-vous dire :”Sachez (impératif) que vous savez (indicatif présent) : pourquoi utiliser ici le **subjonctif?? A vous lire …

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Bonsoir, vraiment merci pour cette application vachement riche

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Bonjour, merci pour cette publication. Je n’ai pas compris sachez que vous sachez ? C’est le gai sachoir ?

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J’aime la philosophie

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Merci infinimant grâce à vous je comprend mieux la citation

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Je voulais savoir qui a contredit la pensée de Rabelais

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Merci c’est un bon site de recherche qui facile aux élèves la philosophie.

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Bonjour, De cette citation “science sans conscience n’est que ruine de l’âme” je me souviens que mon prof de Français (ou de philo) nous avait expliqué qu’elle ne signifiait pas ce qu’elle a l’air de dire . Inutile de dire que j’ai perdu mes cours (Bac 1972). Peut-être les mots science et conscience ont ils un sens différente dans le voabulaire de l’époque ou du Dr Rabelais ?

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Science sans conscience n’est que ruine de l’âme

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Ernest Renan : la science seule peut améliorer la malheureuse situation de l’homme ici bas .

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exatement mr son texte est extremement riche de connaissance

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Vraiment j’aime votre site de réflexion sur la philosophie merci

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C’est bien normal l’être humain est censé être en erreur, pour qu’il soit corrigé, prochaine fois. Merci!

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A la recherche de la vérité...

science sans conscience n'est que ruine de l'âme : signification

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme : signification

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : quelle est la signification de cette célèbre citation de Rabelais ? En quoi la morale doit-elle accompagner le savoir ? Interprétation.

François Rabelais (1494-1553) est un écrivain français humaniste de la Renaissance. Il est notamment l’auteur de Pantagruel et Gargantua .

C’est dans Pantagruel que Rabelais emploie son célèbre aphorisme « science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Le chapitre 8 de cet ouvrage est une émouvante lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, dans laquelle il l’encourage à poursuivre et parfaire sa formation humaniste :

« C’est pourquoi, mon fils, je t’engage à employer ta jeunesse à bien progresser en savoir et en vertu. (…) J’entends et je veux que tu apprennes parfaitement les langues. (…) Qu’il n’y ait pas d’étude scientifique que tu ne gardes présente en ta mémoire. Des arts libéraux : géométrie , arithmétique et musique, je t’en ai donné le goût quand tu étais encore jeune, à cinq ou six ans, continue. (…) De l’astronomie, apprends toutes les règles. (…) Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes, et que tu me les mettes en parallèle avec la philosophie. Et quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t’y donnes avec soin. (…) Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les Talmudistes et les Cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une connaissance parfaite de l’autre monde qu’est l’homme. Et quelques heures par jour commence à lire l’Écriture sainte. (…) En somme, que je voie en toi un abîme de science car, maintenant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra quitter la tranquillité et le repos de l’étude pour apprendre la chevalerie et les armes afin de défendre ma maison. (…) Mais – parce que, selon le sage Salomon, Sagesse n’entre pas en âme malveillante et que Science sans Conscience n’est que ruine de l’âme – tu dois servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir ; et par une foi nourrie de charité, tu dois être uni à lui, en sorte que tu n’en sois jamais séparé par le péché. Méfie-toi des abus du monde ; ne prends pas à cour les futilités, car cette vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable pour tes prochains, et aime-les comme toi-même. Révère tes précepteurs. Fuis la compagnie de ceux à qui tu ne veux pas ressembler, et ne reçois pas en vain les grâces que Dieu t’a données. Et, quand tu t’apercevras que tu as acquis tout le savoir humain, reviens vers moi, afin que je te voie et que je te donne ma bénédiction avant de mourir. Mon fils, que la paix et la grâce de Notre Seigneur soient avec toi. Amen. D’Utopie, ce dix-sept mars, Ton père, Gargantua.

Dans cette lettre, Gargantua propose à son fils un programme exhaustif et encyclopédique : il l’encourage à accumuler une somme de savoirs.

Mais il précise que cette accumulation de savoirs doit s’accompagner de « vertu » : elle doit se faire au service de la sagesse . Il met en garde Pantagruel contre la dérive qui consisterait à profiter de cette connaissance pour soi-même, au lieu de la mettre au service de Dieu et d’autrui.

Voyons précisément ce que signifie la célèbre citation de Rabelais.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme : interprétation

Rabelais fait donc la distinction entre :

  • la science : c’est la somme des savoirs qu’il est possible d’acquérir et de cumuler,
  • la conscience : c’est le fait d’utiliser ces savoirs à bon escient. C’est mesurer la porté de ce que l’on a appris. C’est comprendre les enseignements pour approcher l’intention divine. C’est donc la voie de la sagesse et de la Connaissance .
  • lire aussi notre article sur la différence entre savoir et connaissance.

Autrement dit, selon Rabelais, apprendre sans comprendre n’est que ruine de l’âme. L’acquisition des savoirs doit se faire, non pas au service de soi-même pour régner et dominer, mais au service de Dieu et de sa morale.

La « ruine de l’âme » évoque ce risque de décentrage, allusion indirecte à Adam et Eve croquant du fruit de l’arbre de la science : le serpent leur promet qu’en mangeant de ce fruit, ils seront « comme des dieux ». Cette volonté de se mettre au niveau de Dieu, de vouloir le concurrencer, signe la rupture de l’alliance entre l’homme et son Créateur. C’est le début d’une longue période de malheur.

« Selon le sage Salomon, Sagesse n’entre pas en âme malveillante », dit Rabelais. La référence à Salomon éclaire la formule « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : en effet dans la Bible, Salomon, fils de David, est le constructeur du Temple de Jérusalem, la maison de Dieu abritant l’ Arche d’alliance . Salomon est le symbole de la nouvelle alliance entre Dieu et le peuple élu : il incarne la sagesse (lire aussi notre article sur la sagesse de Salomon ).

Dieu donna à Salomon sagesse et intelligence à profusion ainsi qu’ouverture d’esprit autant qu’il y a de sable au bord de la mer. Premier Livre des Rois 5, 9

Remarque : le sceau de Salomon symbolise, par ses deux triangles entrelacés, l’union de l’Homme et de Dieu.

Rabelais rappelle la nécessité de s’unir à Dieu. Il s’agit de comprendre, de respecter et d’incarner la Loi divine. Là réside la véritable Connaissance : « tu dois servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir ; et par une foi nourrie de charité, tu dois être uni à lui, en sorte que tu n’en sois jamais séparé par le péché. »

L’alliance avec Dieu est la voie de la sagesse ; le péché est au contraire la séparation d’avec Dieu : l’orgueil.

La morale selon Rabelais

Rabelais cite deux vertus théologales : la foi et la charité.

  • La foi est le fait d’adhérer fermement aux vérités de Dieu et de respecter la Loi universelle,
  • La charité est un amour désintéressé pour Dieu et pour les autres, donnant grâce et joie. « Sois serviable pour tes prochains, et aime-les comme toi-même », est-il dit dans la lettre.

Ainsi, Gargantua invite son fils Pantagruel à trouver sa juste place dans le monde : au service de Dieu (c’est-à-dire en harmonie avec les lois du cosmos ) et au service d’autrui.

Enfin, il le met en garde contre les « abus du monde », les « futilités », bref toute tentation ou risque de dérive égocentrique .

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme : conclusion

Par sa formule « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Rabelais rappelle l’importance de la réflexion et de l’ intuition pour passer du savoir à la Connaissance, de l’accumulation à la compréhension.

Accumuler des savoirs n’est pas suffisant, et même dangereux si cela est mis au service d’une « âme malveillante ».

Les savoirs, par définition limités, inexacts ou changeants, ne permettent pas à eux seuls d’approcher l’intention divine : une autre dimension de recherche est nécessaire.

Lire aussi nos articles :

  • Savoir, connaître, comprendre
  • La loi du progrès

Pour aller plus loin :

Les essentiels du troisième degré maçonnique Adrien Choeur

Ce livre numérique pdf (98 pages) comporte 26 planches essentielles pour approfondir les thèmes et symboles du troisième degré maçonnique.

Il offre des points d’appui pour qui souhaite pénétrer plus profondément l’esprit et le sens de ce degré.

Modif. le 10 avril 2024

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Publié dans 3ème degré , Degrés symboliques et Philosophie

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Rabelais – « Science sans conscience » (explications)

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » François Rabelais

Le sens que l’on donne traditionnellement à cette signification, à la lumière du vocabulaire du XXIe siècle, n’est pas exactement ce que Rabelais entendait.

Pour mieux la comprendre, nous vous proposons les interprétations possibles de cette citation, puis des éléments d’explications, ainsi qu’une mini biographie de François Rabelais.

Interprétations de la citation de François Rabelais

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – François Rabelais

Au premier abord, elle peut être entendue comme un principe, qui préconise de maîtriser pour le bien de l’humanité la science par la morale.

Il s’agit de tenir compte du contexte : au XVI e siècle, science s’employait davantage comme synonyme de savoir , et conscience désignait plus les facultés de compréhension .

Éléments d’explication de la citation

Cette citation est tirée de Gargantua , dont le titre complet décrit le thème : La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence. Livre plein de Pantagruélisme

Dans ce roman, Rabelais raconte l’apprentissage de Gargantua, un géant. Il y critique implicitement, par un style cru et familier, la Sorbonne et son enseignement.

Courte biographie de François Rabelais

→ Culture générale : l’École

8 réflexions sur « Rabelais – « Science sans conscience » (explications) »

Au XXI° siècle comme au XVI° “science” signifie “savoir”; au XXI° siècle comme au XVI° la conscience s’oppose à l’inconscience, à “l’incapacité de comprendre”; en ce siècle nouveau comme en celui de Rabelais “âme” est souvent synonyme d’“esprit”, et l’image “ruine de l’âme” se lit «esprit sans ordre, détruit dans sa structure». Bref, le sens de cette sentence est la même, sauf pour les esprits pauvres qui se limitent à une des acceptions de “science” et à une des interprétations de “conscience” pour attribuer un sens appauvri à une proposition riche de sens…

Je crois reconnaitre là la réponse à la question que je me pose depuis longtemps: que nous avait dit mon prof de Français ou de Philo, entre 1969 et 72, alors que la seule chose dont je me souvienne est que science sans conscience n’est que ruine de l’âme ne veut pas dire ce que l’on croit comprendre avec nos mots et notions contemporains ? Merci

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La Pause Philo

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Des réflexions en action

dissertation sur la science sans conscience

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – Rabelais

Envisager la science sans aucun angle moral et sans la moindre réflexion sur elle-même revient à prendre des risques considérables, pouvant nous mener à notre perte !

Bombe nucléaire, clonage, OGM,… les dangers des avancées scientifiques ne sont plus à prouver et de nombreux risques entourent les décisions scientifiques.

Préjugé tenace, l’esprit scientifique se targue bien souvent d’être parfaitement autosuffisant pour apporter des explications et éclaircir le monde… Pourtant, la science en elle-même est incompétente en matière de morale, il y a besoin d’autre chose pour garantir la justesse d’une décision.

La recherche de la vérité peut éloigner de considérations plus morales : quelles pourraient être les conséquences de ma découverte / de mon invention ? Cela est-il bon, cela est-il juste ?

Ces questions constituent la base du principe de précaution : dans le cas d’une absence de certitudes concernant les conséquences d’une action, il vaut mieux prendre en compte le “scénario du pire” !

Les scientifiques et experts en tout genre, mais aussi les politiques et le grand public, qui se doivent d’avoir un regard critique.

Par exemple, en médecine les progrès fulgurants des méthodes de diagnostic et de soin (parfois intrusives), ou bien les problèmes concernant les informations délivrées au patient, donnent parfois l’impression de traiter l’humain comme une chose…

  Les citoyens aussi ont leur mot à dire ! L’expertise est plurielle et combiner plusieurs regards, à la fois savants et profanes, permet de prendre de meilleures décisions.

La science se doit de prendre en compte l’individu, sa marge d’interprétation et sa subjectivité. Réfléchir sur nous-mêmes et nos actions réduit considérablement les risques d’égarement et nous incite à prendre la meilleure décision possible !

Intégrer la philosophie aux sciences dures et rendre systématique une réflexion éthique dans les laboratoires de recherche pourrait être un bon début… C’est d’ailleurs la base de la bioéthique, impliquant une autorité de contrôle sur les décisions médicales : la multiplication de telles instances est envisageable dans de nombreux secteurs !

Ce qui donne…

La science a besoin de moralité, sous peine de déraper !

Une citation décryptée par Marianne Mercier Toutes ses publications

13 commentaires pour “ « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – rabelais ”.

Merci vraiment pour cette bonne manière de dévélopper cette citation. J’suis vraiment satisfaite du travail. Merci beaucoup.

  • Ping : Voyage au bout de l’enfer des vaccins et de l’usage de fœtus vendus. LHK – Les moutons enragés

La science est duale. Les mêmes connaissances peuvent permettre la radiothérapie ou la bombe atomique. La science est neutre. Par contre, l’exploitation non encadrée des connaissances, la recherche de puissance ou de profit, la généralisation de technologies avec une gestion des risques à posteriori sont la source principale de risques (5G, énergie nucléaire, pesticides, perturbateurs endocriniens…). Seul contrexemple: les OGM en Europe où le principe de précaution a prévalu Il peut arriver plus rarement que la recherche elle-même soit dangereuse : la reconstruction pour étude du virus de grippe espagnole (discontinuée), certaines expériences du CERN pour lesquelles on craignait de générer des mini trous noirs (poursuivies!) , et bien sûr les recherches militaires en guerre bactériologique ( plusieurs accidents graves). La relation entre la morale et la science est compliquée. Les règles morales évoluent dans le temps et peuvent même biaiser les recherches (anthropologie). A l’inverse, la science est par nature transgressive et fait évoluer la morale (reproduction humaine), et peut-être aussi dans le futur l’espèce humaine.

Vraiment. Si les scientifiques peuvent comprendre le monde sera sauvé

Je suis vraiment intéressé merci

Merci pour cette citation

Merci énormément pour votre réponse

Je suis vraiment satisfait de votre analyse. Merci

VRAIMENT ETANT EN TERMINALE A2 JAI BEAUCOUP BOSER LA PHILOSOPHIE SA MA VRAIMENT AIDER EN CLASSE DEXAMEN ET JAI VU LE RESULTAT 16/20 EN PHILO

mes félicitations mon frère. vas de l’avant du courage.

Merci pour les explications bien détaillé de cette citation.

En tout cas je vous remercie extrêmement d’avoir éclairé cette citation si importante !

  • Ping : Oppenheimer - Les 7 Oscars et autres discussions philosophiques - La Pause Philo

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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

La citation corrigée de François Morel

On a beau dire, la phrase de François Rabelais est définitive, référentielle, indépassable.

En août 1884, l’heureux propriétaire d’une jolie villa à Concarneau qu’il avait louée au grand Sadi Carnot (1837-1894) avait bien tenté d’accueillir le grand homme en déclarant : « Carnot sans Concarneau n’est que ravage de l’esprit », force est de constater que la sentence n’est pas restée dans les mémoires.

(J’imagine qu’un certain nombre de lecteurs fidèles de Philosophie magazine, consternés, regrettent amèrement l’ancienne formule, trouvant que ce n’est pas du niveau d’une revue de référence de proposer des calembours aussi navrants. Comment n’être pas d’accord avec eux ?)

Un castriste esseulé dans la banlieue de Trinidad avait bien osé : « Cubain sans concubin, c’est pas marrant marrant », mais voici une phrase qui, non plus, n’est pas spécialement passée à la postérité.

(Je perçois l’incompréhension de l’abonné fidèle depuis 2006 à Philosophie magazine. Oserai-je dire que je la partage ? Surtout que le thème du rapport entre science et conscience aurait dû naturellement me faire écrire des notations extrêmement intelligentes, extrêmement fines, pénétrantes. Mais je ne sais pas lesquelles.)

Un fumeur de marijuana qui jadis aimait consumer des pétards avec son épouse, qui depuis l’avait quitté, déclara un jour : « Joint sans conjoint, putain, c’est dur… »

(Veuillez imaginer, je vous prie, à la place de ce paragraphe-ci quelques notations bien senties sur la bioéthique, la procréation assistée, le génie génétique et le droit de mourir dans la dignité.)

Un enfant de chœur séducteur profitait de ses passages dans les travées de l’église, au moment de la quête dominicale, pour lancer des œillades aux jeunes filles du pensionnat Notre-Dame-du-Rosaire. Un dimanche, alors que son charme n’avait pas opéré, revenant déçu, dépité, désappointé, à la sacristie pour y déposer ses pièces jaunes, il nota : « Quête sans conquête, ça vaut même pas le coup. »

(Est-ce La Rochelle ? La vue sur les tours ? Le soleil printanier ? Est-ce la douce solitude d’un matin paresseux ? Mon esprit vagabonde, incapable de me concentrer sur une phrase – je la rappelle : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »  – qui, idéalement, devrait m’inspirer des réflexions bien senties. J’ouvre des parenthèses au lieu de réfléchir, de me concentrer. Cette chronique est une calamité.)

(Saviez-vous à propos, à propos de rien, que le frère de Platon s’appelait Glaucon. À cause de ce patronyme désastreux, il ne fut jamais vraiment pris au sérieux. Notamment dans sa famille. Quand, dans une assemblée, il était invité à prendre la parole, il y avait toujours quelqu’un pour crier : « Va donc, eh Glaucon ! », ce qui le discréditait immédiatement. La notoriété retomba donc sur Platon, à propos de qui il était quand même beaucoup plus difficile d’inventer des jeux de mots aussi amusants.)

Un prêtre, un jour, sortant du confessionnal, émit une sentence qui troubla certains fidèles :

« Fesse sans confesse est possible. Confesse sans fesse est rare »

Expresso : les parcours interactifs.

dissertation sur la science sans conscience

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Les Cours Julien

Méthodologie et commentaires de textes littéraires

  • Préparation estivale

Mot du jour: manille.

Mot du jour: affouiller., mot du jour: sinvre (sinve)., mot du jour: morillo., pantagruel, « lettre de gargantua », chapitre viii (8), rabelais, 1532, commentaire, analyse..

Pantagruel, chapitre VIII(8), « Lettre de Gargantua », Rabelais, 1532.

C’est pourquoi, mon fils, je t’admoneste qu’emploies ta jeunesse à bien profiter en études et en vertus. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistemon, dont l’un par vives et vocales instructions, l’autre par louables exemples, te peuvent endoctriner. J’entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement: premièrement la Grecque, comme le veut Quintilien, secondement la Latine, et puis l’Hébraïque pour les Saintes Lettres, et la Chaldaïque et Arabique pareillement ; et que tu formes ton style, quant à la Grecque, à l’imitation de Platon, quant à la Latine, à Cicéron. Qu’il n’y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente, à quoi t’aidera la Cosmographie de ceux qui en ont écrit. Des arts libéraux : géométrie, arithmétique et musique, je t’en donnai quelque goût quand tu étais encore petit, en l’âge de cinq à six ans ; poursuis le reste, et d’astronomie saches-en tous les canons. Laisse-moi l’astrologie divinatrice et l’art de Lullius, comme abus et vanités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et me les confères avec philosophie.

Et, quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t’y adonnes avec soin ; qu’il n’y ait mer, rivière, ni fontaine, dont tu ne connaisse les poissons, tous les oiseaux de l’air, tous les arbres, arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au centre des abîmes, les pierreries de tout Orient et Midi : rien ne te soit inconnu.

Puis, soigneusement pratique les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les Talmudistes et Cabalistes, et par fréquentes anatomies acquiers-toi parfaite connaissance de l’autre monde, qui est l’homme. Et par quelques heures du jour commence à visiter les saintes lettres, premièrement en grec le Nouveau Testament et Épîtres des Apôtres, et puis en Hébreu le Vieux Testament. Somme, que je voie un abîme de science. […] Mais – parce que, selon le sage Salomon, sapience n’entre point en âme méchante et science sans conscience n’est que ruine de l’âme -, il te convient servir, aimer et craindre Dieu, et en lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foi formée de charité être à lui adjoint, en sorte que jamais n’en sois désemparé par péché.

Exemple de commentaire avec introduction et conclusion sur Pantagruel, passage de « la lettre de Gargantua », chapitre VIII(8), Rabelais, 1532.

(ceci n’est pas un modèle, mais seulement un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de réflexions).

( attention , la langue de Rabelais est le vieux Français, donc différentes versions modernisées peuvent changer sur quelques mots. De plus, la lettre peut s’étudier entièrement, ou amputée de quelques lignes. C’est le cas ici, mais l’analyse ne change pas)

Introduction :

En 1532 paraît à Lyon le livre, Les Horribles et Epouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel roi des Dipsodes, plus communément appelé Pantagruel. Rabelais y conte les histoires d’une famille de géants de manière humoristique et grossière. Ce récit se poursuivra d’ailleurs en 1534 avec La Vie très horrifique de grand Gargantua, père de Pantagruel . Ces œuvres merveilleuses et outrancières ne recherchent pas simplement le comique, mais font aussi passer un message humaniste qui dérange, puisqu’ils subissent la condamnation et la censure. (accroche avec informations sur l’auteur et l’oeuvre)

L’extrait étudié ici se présente sous la forme d’une lettre d’un père à son fils, de Gargantua à Pantagruel, dans laquelle il lui demande de s’instruire et expose ses attentes. La lettre détaille tout un programme d’étude intense et diversifié. Elle rend compte des savoirs à maîtriser d’après les humanistes pour comprendre le monde. (présentation du texte)

Nous nous demanderons dès lors comment ce texte nous présente l’idéal humaniste de la Renaissance. (problématique)

Dans un premier temps, nous mettrons en avant la forme épistolaire du texte. Puis, nous détaillerons le catalogue des savoirs dessiné par Rabelais, avant d’analyser le caractère humaniste de cette lettre. (annonce de plan)

(introduction avec accroche, présentation du texte, problématique, annonce de plan)

I- Un texte épistolaire.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Les éléments de la lettre.

  • utilisation systématique de la seconde personne du singulier (« t’ », « tu », etc..) démontrant la présence d’un interlocuteur, d’un destinataire .
  • Utilisation de la première personne du singulie r déterminant la présence de l’ émetteur  : « mon fils », « je »…
  • Enfin, les indicateurs spatiaux rendent compte de la distance entre les deux correspondants : « Tu es à Paris ».

b) La relation père-fils.

  • Gargantua le père s’adresse à son fils, à Pantagruel : « Mon fils ».
  • rappel de l’enfance  : « tes cinq six ans », montre l’antériorité du parent par rapport à l’enfant.
  • Ton impératif utilisé par Gargantua « je t’admoneste », « je veux », « relis »…qui montre la supériorité du père et son autorité.
  • But de la lettre affichée, transmettre à un fils les volontés de son père  : « J’entends et veux que tu apprennes.. ».

( phrase de transition/conclusion de la partie lors de la rédaction)

II- Un programme d’études.

a) Une éducation éclectique.

  • Pantagruel signifie en grec, « assoiffé » de savoirs, de connaissances.
  • Catalogue impressionnant de savoirs à maîtriser : différentes langues mortes et vivantes, histoire, mathématiques, musique, droit, sciences naturelles, médecine et théologie.
  • Connaissance presque impossible, mais rendue plausible par le fait que Pantagruel soit un géant .

b) Cohérence et organisation de ce programme.

  • d’abord les langues , qui permettent de lire des ouvrages variés, et de comprendre des points de vue différents.(tolérance)
  • Puis, mathématiques,musique, astrologie, droit et philosophie : matières logiques (musique=solfège)
  • sciences naturelles et médecine servant à connaître le monde et l’homme .
  • Enfin, dans le premier paragraphe, et dans le dernier, rappel que toutes ces connaissances servent à rapprocher l’homme de dieu  : « l’hébraïque pour l’Ecriture sainte », « commence à apprendre les Saintes Ecritures ».

( phrase de conclusion/transition lors de la rédaction)

III- « L’homme au centre du monde » (devise de l’humanisme).

a) Multiples références à des civilisations non-européennes.

  • caractéristiques de l’humanisme d’être ouvert sur d’autres civilisations  : références aux Arabes, à l’Orient, l’Afrique. élargissement du monde à d’autres continents, grandes découvertes.
  • Retour vers l’antiquité traditionnel durant l’humanisme et la Renaissance : Quintilien (pédagogue romain du Ier siècle, auteur de manuels), Cicéron (avocat et philosophe romain célèbre du Ier sicècle avant J-C) et enfin Platon (philosophe athénien , élève de Socrate, Vème-IVème siècle avant J-C)
  • Les Juifs ne sont pas oubliés , alors qu’ils sont discriminés à l’époque dans l’Europe chrétienne : références aux talmudistes et cabalistes (savants du judaïsme)
  • Ouverture d’esprit qui ne s’arrête ni à l’Europe, ni au christianisme, ni à l’époque de Rabelais.

b) Une vision humaniste du rapport entre les sciences et la religion.

  • contrairement aux dogmes de l’Eglise (aux principes de l’Eglise), Rabelais n’oppose pas science et religion , ni philosophie grecque païenne et théologie sacrée. Evoque même l’anatomie et la dissection de corps humain, très mal vue à l’époque par l’Eglise (la Renaissance voit le début de la chirurgie ‘moderne’ avec Ambroise Paré par exemple)
  • Savoirs qui aboutissent à la connaissance de la religion et de Dieu. Référence d’ailleurs à Salomon.
  • Morale de la lettre : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », accompagné de conseils très appuyés : « il te faut servir, aimer et craindre Dieu ».
  • Un rapprochement entre la science et la religion opportun pour éviter la censure (qu’il n’évitera pas, voire introduction), mais aussi par réelle conviction. Ce qui compte pour Rabelais, ce n’est pas le savoir lui-même, mais son but. Son objectif.

c) François Rabelais : un humaniste.

  • programme d’étude et vision de la religion en partie auto-biographique :moine en 1520, intérêt pour le grec, la science et le droit antique, devient ensuite médecin, pratique la dissection.
  • Vision humaniste de la foi portée par le réel amour de Dieu et la charité, non vers les démonstrations apparentes comme les cérémonies, ou l’obéissance aux institutions religieuses.
  • Recherche d’un homme universel par une connaissance universelle.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction).

Conclusion :

A travers une lettre adressée à son fils, Gargantua exprime ses attentes en matière d’éducation et d’apprentissage. La masse des connaissances à apprendre est immense, et s’étend à toutes les matières : scientifiques, littéraires, linguistiques ou religieuses. Rabelais utilise évidemment cet échange épistolaire entre ses deux héros pour nous proposer sa vision d’une éducation humaniste idéale. (reprise des conclusions des parties et réponse à l’annonce de plan)

Le registre didactique de la lettre et l’autorité du père ne souffre pas de contestation. L’auteur nous présente ici une vérité, sa vérité. Véritable manifeste de l’humanisme, cette lettre cherche à concilier science et religion, connaissance et foi. Sa maxime la plus célèbre « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » nous rappelle que la pensée humaniste, parfois combattue violemment par l’Eglise, ne fut jamais ennemie de Dieu, mais désireuse avant tout de chercher la vérité. (réponse à la problématique)

Son appétit de connaissance le mena à quitter les ordres monastiques dans lesquels il s’était engagé jeune, puis à rechercher la protection des puissants contre les institutions religieuses. Son goût des aventures extraordinaires pour transmettre ses messages trouvèrent un digne héritier du temps de Lumières dans la personne de Voltaire par ses contes philosophiques, comme Micromégas, qui met en scène des géants. (ouverture)

(conclusion avec reprise des conclusions partielles et réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture)

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4 commentaires sur “pantagruel, « lettre de gargantua », chapitre viii (8), rabelais, 1532, commentaire, analyse.”.

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Je ne voudrais pas critiquer ton travail,mais dans l’introduction je pense que tu as oublié la contextualisation.

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Tout d’abord merci pour le message. Cela ne m’a pas semblé utile dans le sens où généralement cette lettre est présentée comme un élément indépendant. De plus, comme je le signale, au début de chaque article, « ceci est une exemple, et non un modèle ». Ajout, réflexion, amélioration doivent venir enrichir ce canevas personnel, qui est, je l’espère, pédagogique et facile d’utilisation. Très bonne soirée Coline. Merci encore pour cette réflexion utile.

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C’est très bien rendu, je vous félicite pour ce travail laborieux et riche.

Ping : Oral Bac Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, Prologue de Gargantua, Gargantua, Rabelais, 1534.  - Les Cours Julien

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